Contexte historique
Né à Paris en 1840, Émile Zola a passé son enfance à Aix-en-Provence, où il noue une amitié très forte avec Paul Cézanne. Arrivé à Paris à l'âge de 18 ans, il échoue aux épreuves du baccalauréat et connaît la misère. Embauché par la suite chez Hachette, il progresse dans la hiérarchie de la librairie et fait la connaissance du milieu littéraire de l'époque. Il se met à écrire pour les journaux des critiques d'art cinglantes où il défend les futurs peintres impressionnistes qui deviennent ses amis (comme Manet ou Renoir), mais aussi des contes et des romans-feuilletons. Thérèse Raquin, qu'il publie à l'âge de 27 ans, fait scandale. Dans la préface de la seconde édition parue en 1868, le jeune écrivain se défend des critiques tout en posant les premiers jalons de sa doctrine naturaliste. Influencé par l'approche scientifique et réaliste qu'adopte Balzac dans La Comédie humaine, il conçoit à cette époque le projet des Rougon-Macquart, « Histoire naturelle et sociale d'une famille sous le Second Empire ». Pendant plus de vingt ans, Zola travaille tous les jours pour venir à bout de cette tâche pharaonique dont les 20 volumes vont paraître régulièrement en feuilletons. Il utilise habilement son activité de journaliste pour faire connaître ses romans. Avec la parution de L'Œuvre en 1885, il se brouille avec son meilleur ami de toujours, Paul Cézanne, qui s'est identifié à Claude Lantier, le peintre raté du roman. À partir de 1877 et du succès de L'Assommoir, Zola jouit d'un prestige et d'une aisance matérielle qui se concrétisent dans la maison de Medan, qu'il acquiert en 1878 et où dînent Flaubert, Edmond de Goncourt ou Alphonse Daudet. Huysmans, Maupassant le fréquentent. Ses livres sont traduits dans toute l'Europe. À la mort de Flaubert en 1880, il devient logiquement le chef de file de l'école naturaliste, dont il définit les principes esthétiques dans ses textes théoriques comme Le Roman expérimental ou Le Naturalisme au théâtre. En 1893, à l'occasion de l'achèvement des Rougon-Macquart, un banquet présidé par le ministre Poincaré est même organisé en son honneur. S'ouvre alors une nouvelle période dans la vie de Zola, qui s'engage explicitement dans des écrits en prise directe avec son époque. En tant que président de la Société des gens de lettres, il défend activement le statut des écrivains.
En novembre 1897, il s'engage énergiquement, dans l'affaire qui divise la France entière, aux côtés des dreyfusards. Deux jours après l'acquittement scandaleux du véritable coupable, Esterhazy, par le tribunal de guerre, Zola révolté cherche à publier sa Lettre à Monsieur Félix Faure, Président de la République. Refusée par tous les journaux, dont Le Figaro, elle est finalement publiée par le journal L'Aurore le 13 janvier 1898. La lettre fait scandale en dénonçant l'injustice dont est victime le capitaine juif et alsacien Alfred Dreyfus. Plus connue sous le nom de « J'accuse... ! » en raison de l'anaphore qui le ponctue, c'est un véritable réquisitoire contre l'armée française, accusée de falsification et d'antisémitisme. Zola, qui n'a plus à rien à prouver, mais tout à perdre, prend avec cet article des risques considérables. Grâce à lui, les failles de l'accusation apparaissent au grand jour ; l'affaire est relancée. Condamné à un an d'emprisonnement pour diffamation, il s'exile en Angleterre. L'écrivain naturaliste en profite pour exercer sa nouvelle passion : la photographie. Il meurt à Paris en 1902, asphyxié par la combustion d'un feu de cheminée. Accident, malveillance ou assassinat (c'est la thèse que suggère Lorenzi), l'enquête restera sans conclusion. Deux ans après la réhabilitation de Dreyfus, ses cendres sont transférées au Panthéon.
Éclairage média
Comme en témoigne sa célèbre émission La Caméra explore le temps ou encore L'Affaire Calas, Stellio Lorenzi a cherché à mettre en images l'histoire de France en l'abordant d'un point de vue éthique. Dans ses dramatiques, le réalisateur communiste invite le spectateur à une réflexion sur le fanatisme, l'intolérance ou les injustices sociales. C'est ainsi qu'après avoir déjà réalisé Thérèse Raquin en 1957, il fait de nouveau appel à Zola en 1978. Émile Zola ou la Conscience humaine retrace en quatre épisodes la vie du défenseur de Dreyfus, dont l'article « J'accuse... ! » va changer le cours de l'histoire de France.
Alors que tous les journaux ont refusé de publier le pamphlet, le jeune quotidien militant L'Aurore, Georges Clemenceau à sa tête, se dispose à le publier. Devant les membres du comité directeur du journal, Émile Zola lit son article « J'accuse... ! ». La mise en scène, d'une très grande sobriété, permet au spectateur de se concentrer sur le contenu du discours et son effet prodigieux sur l'auditoire.
Stellio Lorenzi opte pour un décor réaliste, en clair-obscur. Les plans de demi-ensemble révèlent l'atmosphère sombre d'une pièce où les journalistes, avant de faire éclater la vérité au grand jour, œuvrent dans l'ombre. Les bureaux sont chargés de notes, les figures graves.
La mise en scène alterne les plans sur l'orateur et sur son auditoire. L'immobilité des personnages assis focalise l'attention sur le discours de Zola, tout comme l'utilisation des travellings. Les seules réactions d'ordre physique sont celles de Clemenceau, sur lesquelles les interruptions de Zola attirent l'attention. Ainsi est mis en valeur l'effet de ses propos sur le directeur du journal, qui s'agite, se lève et finit par exprimer son enthousiasme et son admiration pour la force et l'audace de l'article. Zola y accuse nommément les hauts responsables de l'armée française. On peut noter la clarté des accusations et la véhémence implacable de l'accumulation, ainsi que la puissance rhétorique de l'anaphore qui structure la péroraison. L'ironie mordante du discours original a été tronquée, afin d'en faciliter peut-être la fluidité et la compréhension pour l'auditeur.
L'attitude solennelle de Zola (Jean Topart) et Clemenceau (André Valmy), debout à la fin de la lecture, suggère déjà la portée historique de l'instant.
Johanna Pernot